Dans un canot à la dérive, Louis atteint l’île déserte qui le protègera de la dictature et de l’oppression. Mais viennent de nulle part des estivants qui mettent en péril sa cachette et sa vie. Cette robinsonnade fantastique vient interroger nos vies, notre rapport à l’image, notre mise en scène de soi… Nous en faisons une œuvre hybride, immersive, où Thierry Pécou collabore avec des musiciens de culture pop et jazz et un ballet de comédiens / danseurs amateurs.Notre fascination pour cette œuvre tient autant aux sombres résonnances qu’elle crée avec notre temps, qu’à son abyssale beauté formelle.
Morel fait le choix insensé de sacrifier sa vie, et celle de tous ses amis et de la femme qu’il aime, pour s’incarner avec eux dans une image idéalisée de lui-même. Cette épouvantable cruauté nous fait penser aux criminels qui se filment en action : la finalité de leur crime n’est-elle pas de réaliser cette représentation d’eux-mêmes ? Ne s’agit-il pas, en volant la vie des autres et en perdant la leur, d’accéder à une visibilité, à une immortalité par l’image ?
Morel aurait inventé à la fois le premier et le plus extrême des reality shows. Sa machine, ce miroir, dont le reflet anéantit et remplace l’original, n’est pas sans rappeler nos propres écrans, nos réseaux sociaux, les servitudes et les névroses qui nous poussent à délaisser l’instant présent pour l’autofiction, à observer l’autre à travers ses images, à suivre nos indicateurs de popularité, à risquer d’être détruits socialement par des images volées ou non maîtrisées. Les productions et consommations compulsives d’images de soi engloutissent le temps de vie de centaines de millions d’être humains. Morel incarne radicalement ce primat du paraître sur l’être qui travaille nos vies.
Figure hirsute du résistant, Louis a choisi cette île parce qu’il l’a pensait située hors du scope de la dictature dont il fuyait l’oppression. Mais face aux apparitions, il développe une paranoïa aigue, le sentiment que nulle place sur terre n’échappe au contrôle du pouvoir oppressif. Cette paranoïa est aussi une réalité contemporaine. Par sa perfection à enregistrer chaque battement de notre vie , la machine totalitaire et omnisciente de Morel, nous rappelle les big data contemporains. La captation de notre empreinte numérique ne fait plus de nous seulement des cibles commerciales : secrètement ou ouvertement, des structures de pouvoirs surveillent, prédisent et même modèlent nos comportements avec douceur et précision.